L’Héritage Caché du Botry Malgache
4 avr. 2025 - 6 min de lecture

Origine arabe du Botry : Une histoire maritime façonnée par l'Orient
Le terme "Botry" vient du mot arabe "būt", qui désigne un type de bateau à voile, et pourrait aussi être lié à "boutre" en français, une appellation qui désigne plus généralement les navires traditionnels à voiles utilisés dans l'océan Indien. Mais l’histoire de ce navire à Madagascar est bien plus complexe qu’un simple emprunt linguistique. En effet, l’arrivée des botry sur les côtes malgaches remonte à plusieurs siècles et résulte de contacts anciens entre Madagascar et le monde islamique, en particulier avec les marchands et marins arabes.

Les premières traces de boutres à Madagascar se trouvent principalement dans les récits des marins arabes qui, dès le Moyen Âge, sillonnaient l’océan Indien pour établir des routes commerciales. Les Antalaotra, une communauté de marins métissés dans le Nord-Ouest de Madagascar, sont souvent considérés comme les principaux responsables de l’introduction et de l’adaptation des boutres arabes sur l’île. Ces commerçants, influencés par la culture islamique et originaires de la côte swahili, ont joué un rôle de médiateurs entre les populations malgaches et les marchands arabes venus du Golfe Persique, d’Oman, du Yémen, ainsi que de la région de Zanzibar. Ils ont ainsi contribué à l’établissement de relations commerciales durables entre Madagascar et l’Afrique orientale, facilitant l’échange de biens et la diffusion de nouvelles techniques de navigation.

Les Influences Européennes : La Transformation du Botry Arabe en Goélette Bretonne
Si les botry malgaches trouvent leurs origines dans les boutres arabes, leur forme actuelle est le fruit d'une transformation marquée par l'influence de la goélette bretonne, grâce au travail de la famille Joachim. Au XIXe siècle, les goélettes bretonnes, initialement destinées au cabotage et à la pêche à la morue, ont joué un rôle clé dans le développement de la marine malgache. Ces voiliers fins et racés, conçus pour les mers agitées de l'Atlantique, se distinguaient par leur facilité de manœuvre et leur faible tirant d'eau, des caractéristiques idéales pour le cabotage côtier, une activité essentielle à Madagascar.
La famille Joachim, des Bretons établis à la Réunion, a introduit cette tradition de construction navale à Madagascar vers 1863. Leur arrivée à Belo-sur-Mer, dans le Ménabé, coïncide avec une période d'ouverture du royaume de Radama II aux étrangers, bien que ce climat favorable n’ait duré que peu de temps. Après l'assassinat de Radama II et la montée en puissance de Ranavalona II, qui poursuivit une politique d'expulsion des étrangers, la famille Joachim dut fuir et se disperser entre Madagascar et la Réunion. Ce n'est qu'en 1888 que Ludovic et Albert Joachim parviennent à s'établir à Tuléar, avant de se fixer définitivement à Morondava en 1904, où ils fondèrent un chantier naval.
La famille Joachim s’intégra rapidement à la communauté locale, composée principalement de pêcheurs vezo et de charpentiers de marine malgaches, pour y transmettre leur savoir-faire en construction navale. Leur rôle devint encore plus important après que Albert (Bebea) obtienne l’autorisation d'ouvrir une école de charpentiers de marine à Belo-sur-Mer en 1904. Il y enseigna la fabrication de goélettes malgaches, tout en intégrant les techniques traditionnelles malgaches à celles des charpentiers européens. Le botry tel qu’on le connaît aujourd'hui naquit de cette fusion : un navire hybride qui reprend la structure et la forme d’un boutre arabe tout en empruntant les lignes fines et la conception de la goélette bretonne.
L'usage du terme "boutre" pour désigner ce navire à Madagascar est en grande partie dû à la tradition arabe qui l'a introduit, mais il reflète moins la forme et la fonction originelles du boutre arabe que l’héritage culturel des marins arabes qui ont imprégné la culture maritime malgache. En effet, dans certaines régions de l'île, la population a préféré maintenir la forme traditionnelle du boutre arabe. Le botry à Belo-sur-Mer, cependant, s’est largement inspiré des goélettes bretonnes, devenant un vaisseau hybride, adapté à la navigation côtière et aux besoins du commerce local.

Naissance d’un Botry : Matériaux, Techniques et Savoir-Faire
La construction d’un botry à Madagascar est un travail minutieux et prolongé qui peut s’étaler sur 1 à 2 ans, en fonction des moyens financiers du commanditaire et de l’approvisionnement en ressources nécessaires. Ce processus est entièrement artisanal, réalisé par des maîtres charpentiers utilisant des outils rudimentaires tels que le marteau, la scie, la hâche et l’herminette. L'absence de plans définis fait que chaque réalisation repose sur l’œil expert du constructeur, rendant chaque botry unique dans sa conception.

Les matériaux utilisés proviennent directement de la nature environnante, principalement des bois d'arbres locaux comme le nato, l'anakary, le tainakanga, et le katrafay. Ces essences servent à la fabrication de différentes parties du bateau, notamment la quille, l’étambot et le mât. Pour la construction de chaque navire, plusieurs arbres doivent être abattus, souvent une dizaine ou une vingtaine, selon la taille du projet. Jusqu'à la moitié du XXe siècle, les coques étaient étanchées à l'aide d’étoupe mélangée à de la résine d’euphorbe, mais avec le temps, cette technique a été progressivement remplacée par l’application de goudron pour assurer une meilleure étanchéité
Les botry malgaches varient en taille, mesurant entre 12 à 20 mètres, avec une moyenne de 15 mètres. Ces navires sont conçus principalement pour le transport côtier, transportant des marchandises comme le sel, le riz, ou le ciment. Cependant, à force de vouloir augmenter leur capacité de charge, leur forme est devenue plus ventrue, améliorant leur stabilité mais réduisant leur maniabilité, notamment lors des passages difficiles comme la barre de Morondava.
Une fois le bateau achevé, il est mis à l’eau lors d’une cérémonie rituelle appelée le “jotso botry”, une grande fête qui réunit toute la communauté. Les villageois, en particulier à Belo-sur-Mer, se rassemblent pour célébrer cet événement important. Avant la mise à l’eau, une annonce à la radio informe la communauté des festivités, et les familles arrivent des villages voisins. La veille, des danses traditionnelles et des chants accompagnent la préparation du bateau. Le matin, après un repas de viande de zébu, la foule aide à pousser le botry vers la mer, guidé par les chants et les rythmes de la danse. Ce moment marque l’aboutissement du travail des charpentiers, et la mise à l’eau du botry est accompagnée de joie et de célébrations.

La construction des botry repose sur un savoir-faire ancestral, transmis de génération en génération à Belo-sur-Mer et dans les villages voisins. Aujourd’hui, une vingtaine de ces bateaux traditionnels sont construits chaque année. Le botry reste un symbole du lien profond entre les Malgaches et la mer, et chaque mise à l’eau est une célébration de ce patrimoine maritime vivant.